K A T A L O G Images About Behind the Scenes Book




Katalog



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“Qu’est ce que vous emporteriez si votre maison brulait?
"J’emporterais le feu", répondit Cocteau.



C
ollectionneuse névrosée, j’ai toujours ressenti un profond plaisir à ordonner, catégoriser, exposer. Je recherche fondamentalement une émotion esthétique dans l’assemblage de choses & idées qui au premier abord semblent incongrues ou même insipides.

Dans ce monde chaotique, les objets qui meublent mon intérieur sont quelque part mes référents stables… Ils me protègent. D’une certaine façon, je ressens un profond sentiment de quiétude dans l’inertie. Casanière dans l’âme, je ne souhaite pas parcourir le monde et découvrir le plus de pays possibles. Je préfère rester à la maison ou lorsque je voyage ; retourner inlassablement au même endroit pour me fondre dans le décor.

J’aimerais que rien ne bouge jamais, mais ma vie d’adulte en a décidé autrement. Après de très nombreux déménagements et un divorce soudain en 2015, j’ai quitté Amsterdam et suis revenue vivre à Bruxelles avec mes trois enfants sous le bras.

Désirant plus de stabilité dans ma vie, j'ai ressenti une envie irrésistible de m’enfermer chez moi. J’ai, dès lors, décidé de repousser les limites du confinement et de ma névrose en me rapprochant encore plus de mes affaires et en les analysant en détails.

Suivant Kant pour qui “l’objet existe mais ne devient objet constitué que lorsque le sujet lui fait face et le constitue en tant que tel”, j’ai décidé d’isoler systématiquement tous les objets de ma maison et d’entreprendre une confrontation avec chacun d’eux au travers de mon objectif photographique. Ce long travail d’introspection je l’ai intitulé: KATALOG.

Dès lors, pendant quatre ans, pièce par pièce, tiroir par tiroir, j’ai photographié, indexé et classifié l’entièreté de ma maison. Absolument tout y est passé : de la chaussette trouée de ma fille aux Lego de mon fils en passant par mon vibromasseur, mes anxiolytiques, tout, absolument tout.

12 795 photos de 12 795 objets

Protocole
→ Chaque pièce a été photographiée dans son ensemble avant d’être refermée à jamais (tout objet intégré plus tard dans la pièce ne ferait pas partie du Katalog sinon je risquais de continuer jusqu’à ma mort). Je passais ensuite à une autre pièce, et ainsi de suite.
→ Afin d’éviter les doublons, des Post-it étaient apposés sur les tiroirs ou armoires dont le contenu avait été entièrement photographié.

J’ai exclu :
→ en tant que locataire, les choses fixes de la maison que je n’ai pas choisies, comme la baignoire, le lavabo, etc. ;
→ la nourriture, qui est éphémère ;
→ les objets qui n’ont pas de volume propre, comme les papiers, lettres, etc.

Je photographie ensemble :
→ tout objet emballé ou attaché à un autre ;
→ les objets en plus de cinquante exemplaires identiques en tout point (paillettes, pailles…) ;
→ les objets faisant partie d’un tout encore présents dans leur contenant d’origine (jeux de société, boîte de cotons-tiges…) ; si, par contre, l’objet n’est plus dans sa boîte originelle, il est considéré comme unique et photographié séparément (brique de Lego, bille…).

J’ai délibérément isolé chaque objet sur un fond blanc neutre afin de l’extraire de son environnement et favoriser un regard détaché de son contexte.



Mon approche
Lors de mon confinement volontaire, les études sur la recherche du bonheur matériel furent mes lectures quotidiennes. Pourtant, au fil du travail, je me suis retrouvée au carrefour entre deux sentiments qui se mêlaient et s’opposaient: je réalisais que je ne ressentais que peu d’attachement avec la majorité de mes possessions qui sont, pour la plupart, plus une source d’encombrement que de plaisir. Mais parallèlement, le fait d’isoler chaque objet (même le plus ordinaire), de l’ordonner et le classifier selon des critères propres lui confère une importance et une beauté subjective toute particulière. Même une bouteille de sirop qui a coulé sur les bords de la bouteille développe, à présent, quelque chose d’intéressant d’un point de vue esthétique. Secrètement, j’esperais rejoindre l’expression: « less is more » et me détacher de la plupart de mes objets, mais on dirait que j’ai fait l’inverse. Je suis devenue au fil des 4 années encore plus fétichiste et obsessive.

Au dela de notre besoin de possession matérialiste, notre époque est en perpetuelle quête de reconnaissance. Chaque geste, chaque voyage, chaque achat est dévoilé à la vue de tous sur les réseaux. Avons-nous à ce point peur d’être insignifiants? A travers cette quête perpétuelle de reconnaissance, nous recherchons, à nouveau, ce bonheur factice qui ne comble que de façon éphémère cette sensation de ‘faim’. En somme, cette abondance de gratification est comparable à notre consommation exacerbée. Tous deux nous éloignent pendant un court instant de nos vraies peurs qui demandent du temps, de l’effort et de la réflexion pour être surmontées.


“Acquérir, pour se soulager, s’enivrer, se réconforter. Pour se rendre un peu plus heureux ou un peu moins malheureux. Pour ne pas trop penser à ce qui est compliqué dans nos existences. Pour accéder à un monde que l’on sait factice et simplifié mais que l’on espère facile et confortable. Pour ne pas penser au malheur ou à la vacuité de notre vie en ce moment. On dépense pour dé-penser.” − Christophe André

Cette performance m’amène donc, à dévoiler au public tout ce que je possède, sans filtre, sans sélection préalable et dans son ensemble. En somme, l’exposition du soi poussé à son paroxysme. L’exposition non pas du recto idéalisé et maîtrisé d’une vie parfaite mais bien son verso sans sélection aucune.

Travailler de façon répétitive a été une expérience terriblement ennuyeuse mais extrêmement rassurante. Le fait de mettre en scène ces objets avec discipline et dévouement m’a aidé à organiser ma pensée et ma vie. En quelque sorte une thérapie nécessaire.

Maintenant que toutes les photos ont été prises, je me sens quelque part rassurée. J’ai vécu toute ma vie dans la peur que je pouvais tout perdre du jour au lendemain… A présent tout peut s’écrouler. J’aurai toujours une trace que ces objets, cette vie a existée. Ma maison peut désormais prendre feu, je peux me retrouver à la rue... tant que j’ai mes 3 enfants dans ma poche et mon KATALOG sous le bras, je crois que je m’en sortirai…

Exposition
Les réflexions portées par mon projet KATALOG, je souhaite aujourd’hui les partager à travers une présentation frontale et immersive de mon travail. Qu’il soit présenté dans un un espace intérieur (sur une surface unique ou sur différents murs d’une même pièce) et/ou sur une immense surface extérieure, je souhaite que le visiteur puisse y projeter son expérience personnelle.

Cette installation monumentale et immersive, je la souhaite sous forme de petites projections digitales. Chaque cliché sera exposé dans un ordre disparate dans une masse exceptionnelle de +/- 12.000 photos. Cet agrégat de traces photographiques visibles sous tous les angles devrait susciter une encombrement mental et physique du visiteur. Le visiteur aura ensuite l’occasion de classer et ranger les objets selon differents angles de narrations à travers un assemblage de critères (par couleur, par piece, par nature d’objets, par valeur, par frequence d’utilisation…) qui pourront etre croisés et recroisés à l’infini.

Ex : objets rouges & en metal & du living
Ex : tous les objets & qui ne sont jamais utilisés
Ex : tous les objets vintage & en bois & estimé à 20 eur
Ex : tous les livres non lus & couverture verte

La présentation de KATALOG verra le jour en 2022/2023.
Barbara IWEINS
Bruxelles